Callie reprenait tout doucement ses marques à Atlanta. C’était la ville qui l’avait vu grandir. C’était la ville qui l’avait vu être une petite fille espiègle, une adolescente mystérieuse cachée derrière son appareil photo, une jeune femme triste, puis amoureuse. C’est ici qu’elle avait vécu ses passions, ses projets, sa vie en somme. Mais ces deux dernières années, la jolie brune avait découvert de nouveaux horizons. Elle avait tout d’abord intégré l’école de médecine de l’université de Columbia, à New York. Elle le cacherait sans doute à tout sudiste qui se respecte, mais elle avait adoré la Big Apple, et elle n’hésiterait pas à retourner y vivre. L’atmosphère y était tellement particulière ! Dans chaque quartier, elle avait l’impression de découvrir un nouveau monde. Il y avait l’Upper East Side et toutes les boutiques dédiées aux chiens ! C’était fou, il y en avait à chaque coin de rue, et croyez-moi les canins étaient chouchoutés, colliers hors de prix, manteaux, laisses, petits lits… De vrais petits bébés. Il y avait cette côte si pénible à monter pour accéder à Columbia. A croire que l’éducation se méritait physiquement ! Ses quartiers préférés restaient tout de même le Village, Soho, l’East Village. Ils étaient plus conviviaux, surtout au printemps, lorsque les terrasses des multiples bars se remplissaient petit à petit. C’était sans oublier les petites boutiques vintage ou encore de nouveaux créateurs… A New York, elle avait eu la sensation que chaque personne pouvait trouver sa place, peu importe ses origines, ses goûts… Tout se mélangeait et donnait un charme fou à cette ville unique. En fonction de ses études, Callie était censée y rester quatre années, peut-être davantage, tout dépendrait de l’internat qu’elle trouverait en fait. Mais la vie en avait décidé autrement. Lorsqu’Adam était mort, il y a un peu plus d’un an, toute son existence avait été chamboulée. Sa vie, qui la comblait tellement auparavant lui semblait à présent vide de sens. Tout lui semblait vide de sens à vrai dire. Mettre des mots sur la douleur qu’elle avait éprouvée n’était pas une chose aisée. En fait, à force d’être submergée par la tristesse, elle avait eu l’impression de ne plus avoir de goût pour rien, comme si la perte d’Adam avait fait mourir une part d’elle-même en même temps. Elle avait ressenti le besoin de se reconstruire, alors elle était partie pendant plusieurs mois en Asie, comme bénévole au sein d’une association. Etrangement, ce n’est pas en se concentrant sur elle-même qu’elle avait réussi à se reconstruire. Au contraire, ces derniers mois, elle s’était uniquement concentrée sur ceux qui en avaient besoin, et d’une certaine façon, ça lui avait permis de relever la tête de l’eau. Mais voilà, il fallait bien revenir à la réalité un jour, et elle était donc rentrée à Atlanta, en compagnie de sa cousine, Brooklynn. Cela dit, elle n’était pas revenue à l’entière réalité qu’avait été sa vie dans la ville de Géorgie. Elle n’avait prévenu que sa famille lorsqu’elle était rentrée. Tous les amis qu’elle avait pu avoir… Et bien ils étaient aussi les amis d’Adam, et comme ce dernier n’était plus de ce monde, elle avait du mal à se dire qu’elle allait pouvoir les fréquenter à nouveau. Ce n’était pas la seule raison évidemment, puisqu’il y avait une personne qu’elle ne voulait revoir pour rien au monde, c’était Alban.

Mais apparemment, le destin, ou peut-être bien cette saleté de karma, en avait décidé autrement, puisqu’elle allait lui rentrer dedans dans approximativement deux minutes. Elle venait juste d’acheter son traditionnel café latte sans lequel elle aurait dû mal à affronter ses heures de révisions. Elle avait ouvert la porte du Starbuck pour en sortir, avait jeté un coup d’œil à gauche, puis ni une, ni deux, avait tourné à gauche, percutant de plein fouet un torse, qu’elle arrosa de café d’ailleurs. « Oh mon dieu, je suis vraiment désolée, j’espère que je ne vous ai pas… » se confondit-elle en excuses, avant de relever les yeux sur Alban. « Brûlé. » acheva-t-elle, le regard fixé sur lui. La dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était à l’enterrement d’Adam, lorsque sa dépouille avait été ramené jusqu’à Atlanta, pour que sa famille puisse lui organiser une véritable cérémonie d’adieu. Elle n’était même pas sûre qu’ils se soient adressés un mot ce jour là. Non, la dernière fois qu’ils s’étaient parlés, remontait au mois d’août, il y a un peu plus d’un an. Au cours de cet été là, il avait été, sans aucune hésitation, la personne de qui elle avait été le plus proche. Une belle complicité était née entre eux au fil des confidences et des éclats de rire… Une complicité qui s’était transformée en coup de cœur. Callie ne pouvait pas le nier, même si elle avait peine à l’admettre, elle avait commencé à avoir des sentiments plus qu’amicaux à son égard. Peut-être était-ce parce qu’Adam manquait à l’appel tellement souvent, peut-être parce qu’elle avait besoin d’une présence et qu’Alban lui avait offert la sienne, ou peut-être que les choses s’étaient faites naturellement, sans aucune raison particulière. Toujours est-il que l’attirance avait été bien présente puisqu’ils avaient passé une nuit ensemble. Elle en garderait un souvenir assez magique si le karma ne s’était pas chargé de se venger puissance dix. Les évènements catastrophiques s’étaient enchaînés par la suite. Elle avait découvert qu’elle était enceinte, qu’il était clair que l’enfant n’était pas d’Adam, alors elle avait avorté sans en dire un mot à personne. Inutile de préciser que lorsqu’elle avait appris que son fiancé était décédé, en plus de la douleur qu’elle avait ressentie, sa culpabilité avait triplé. Et voilà, aujourd’hui, elle se retrouvait face à Alban, sans qu’un mot ne se décide à franchir la barrière de ses lèvres. Tout ce qui incluait « Salut » ou « Ca va ? » ou « Quoi de neuf ? » lui semblaient complètement incongru. Alors, elle se contentait de le regarder, hésitant à prendre la fuite, ce qui ne serait pas très crédible, puisque oui, évidemment qu’elle l’avait reconnu !

En rentrant à Atlanta, il y avait certaines personnes que Callie avait décidé de ne pas revoir. Elle savait que ce ne serait pas éternel, qu’un jour, elle serait bien obligée de se manifester, mais elle repoussait l’échéance. Pour l’instant, elle préférait encore passer son retour sous silence. Elle ne s’en tirait pas trop mal, dans la mesure où elle avait ses deux sœurs sur lesquelles elle avait toujours compté, Candice et Charlotte, mais également sa mère, ainsi que sa cousine Brooklynn. Ces quatre personnes avaient une importance capitale et lui suffisaient pour le moment. Et puis, elle avait repris les cours à l’école de médecine, si bien qu’elle s’était fait quelques connaissances. Callie était une jeune femme assez réservée, et l’avait toujours été. Non, en fait toujours n’était peut-être pas le terme exact, puisque sa solitude s’était sortie révélée après la mort de son père. C’était terrible de perdre quelqu’un de proche, comme si d’un seul coup une partie de soi-même se faisait la malle, se vidait, et refusait de se remplir à nouveau, une sorte d’amputation en somme. A cette époque, elle allait très peu vers les autres, comme si elle ne se sentait pas d’attaque à les affronter, à parler d’elle, à se dévoiler. Adam avait complètement bouleversé les choses en arrivant dans sa vie. Petit à petit, il l’avait apprivoisé, et elle avait commencé à se dévoiler. Ca ne s’était pas fait du jour au lendemain évidemment, mais tout doucement, elle avait réussi à s’ouvrir à nouveau. Mais voilà, elle se retrouvait encore une fois dans cette situation, depuis la mort d’Adam il y a un an. Ces deux pertes avaient été trop soudaines, trop brutales pour qu’elle parvienne à se relever tout de suite. Elle avait été K-O pendant un moment, et l’envie de reprendre sa vie en main s’était faite lentement. Mais du côté amical, c’était compliqué. La plupart des amis qu’elle s’était fait appartenaient au cercle d’Adam, à la petite bande qu’il avait depuis des années ! C’était donc assez étrange de les retrouver, comme si elle avait l’impression de ne plus appartenir à leur monde. Cela dit, elle pourrait toujours s’y accommoder. Se retrouver face à Alban c’était une toute autre affaire. Et cette entrée en matière était loin d’être calme puisqu’elle venait de renverser son café latte sur lui. Lorsqu’elle s’était rendue compte de qui elle avait en face d’elle, elle resta scotchée sur place. La dernière fois qu’elle l’avait vu, c’était à l’enterrement de son fiancé, et elle s’était arrangé pour à peine lui adresser la parole. Et dire que l’été qui avait précédé le décès d’Adam, ils étaient bavards comme des pies dès qu’ils étaient ensemble ! Mais depuis, il y avait eu cette culpabilité qui avait creusé un fossé immense entre eux. « Je dirais qu'il y a plus banale comme retrouvailles ... Tu fais dans l’originalité dis moi ! » Il semblait… De bonne humeur, ce qui la rassura. C’est ce que Callie avait craint le plus, qu’on lui en veuille de n’avoir rien dit sur son retour, de n’avoir donné aucune nouvelle au cours de l’année qui venait de s’écouler. Mais ça ne semblait pas être le cas avec Alban, ce qui honnêtement lui enlevait une épine du pied tant c’était déjà suffisamment complexe entre eux. « Oui, tu me connais, j’aime faire différemment des autres ! » répondit-elle en esquissant un sourire timide. C’était étrange car elle ne s’était jamais disputée avec Alban, mais il y avait tellement de non-dits, de gêne par rapport à ce qui s’était passé entre eux que ça aboutissait au même résultat. Il y avait ce fossé, cette distance entre eux, que l’année écoulée n’avait pas effacé, au contraire. Du moins, c’était ainsi pour Callie… Pour lui, elle n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait bien penser ! « Quelle surprise de te revoir ici, tu es de retour parmi nous pour de bon ? Ou ... Tu compte repartir ... » Elle se mordit légèrement la lèvre inférieure… C’était normal qu’il lui pose la question, et ce ne serait sûrement pas le dernier à l’interroger à ce sujet. « Oh pardon, je suis peut-être indiscret là ... Tu n'est pas obligée de me répondre tu sais ... je suis juste un peu surpris de te revoir .... Mais cela n'empêche en rien que je suis très content de te revoir ... Enfin ! » Elle baissa les yeux, en souriant légèrement. C’était contradictoire car il était la personne qu’elle avait voulu éviter comme la peste, mais à présent qu’elle se retrouvait face à lui, elle ne pouvait nier que ça lui faisait plaisir de le voir, malgré tout. Le fait est que même si la culpabilité avait fini par l’emporter sur le reste, cet été là, une entente, une complicité était née entre eux, alors oui, forcément, elle était contente de le revoir. « Non, t’es pas indiscret du tout, je… Je suis de retour pour de bon », lui répondit-elle finalement. Ils étaient en plein milieu du trottoir, à l’arrêt depuis quelques minutes, et Callie se fit légèrement bousculer par un passant pressé. « Peut-être qu’on ne devrait pas rester au milieu du passage », dit-elle. Elle hésitait, est-ce qu’elle devait lui dire qu’elle était pressée, et ainsi filer à l’anglaise, en se contentant de la facilité ? Ou bien devait-elle lui proposer un café ? La première solution était sans aucun doute celle qui lui demanderait le moins d’effort, mais d’un autre côté, la seconde était sans doute plus honnête. C’était ridicule, elle n’allait pas pouvoir l’éviter éternellement, cette rencontre imprévue en était la preuve. « Est-ce que tu as le temps pour un café ? » lui demanda-t-elle avant de jeter un coup d’œil à son propre gobelet dans lequel il ne restait pas grand-chose puisque son contenu se trouvait en partie sur Alban, en partie sur le sol.

Il était certain que Callie aurait pu trouver une meilleure entrée en matière plutôt que de renversée son café latte sur le tee-shirt d’Alban. Mais après tout, ce n’est pas comme si elle l’avait fait exprès. Au contraire, depuis qu’elle était revenue à Atlanta, il était plutôt la personne qu’elle cherchait à éviter comme la peste. Jusqu’à présent, elle avait bien réussi, mais apparemment, le destin cherchait absolument à le mettre sur sa route ! Elle était bien incapable de dire précisément ce qu’elle pouvait ressentir à cet instant présent, tant tout était confus dans son esprit. Elle avait d’excellentes raisons de vouloir éviter le jeune homme, mais d’un autre côté, elle ne pouvait nier que ça lui faisait plaisir de le voir. Après tout, ce n’est pas comme s’il y avait un froid entre eux, dû à une dispute. Non, au contraire, le froid, la gêne, étaient là parce qu’ils s’étaient un peu trop bien entendu à une époque. Si tout pouvait être aussi tranché que le bien ou le mal, le noir ou le blanc… Mais non, elle avait l’impression que cette histoire était remplie de nuances. Si elle culpabilisait autant par rapport à la nuit qu’ils avaient passé ensemble, c’était en grande partie à cause des évènements qui avaient suivi. Elle était tombée enceinte, avait avorté, et peu après avait appris la mort de son fiancé. Croyez-moi, tout ceci faisait beaucoup à digérer en si peu de temps. Malgré tout, elle avait apprécié la nuit qu’ils avaient passée ensemble. Elle avait tellement honte de penser ça, mais c’était pourtant la stricte vérité. Elle ne pouvait nier qu’elle avait passé un très bon été en sa compagnie. Ce n’était pas venu d’un seul coup, du moins pas pour elle. L’attirance qu’elle avait eue pour lui s’était construite petit à petit, et pour cette raison aussi elle culpabilisait. Difficile de dire que c’était une simple erreur, alors qu’elle avait eu conscience de ce qu’elle ressentait, n’est-ce pas ? Des tas de nuances… Ils n’en avaient jamais parlé ensemble en tous cas, et peut-être était-ce pour cette raison qu’elle avait tant de mal à tirer un trait sur ce qui s’était passé. Après tout, elle n’avait aucune idée de ce que lui avait dans la tête, s’il avait culpabilisé autant qu’elle, comment il avait vécu les choses… Mais en pensant cela, elle se rappelait bien vite qu’il y avait une partie de l’équation qui était inconnue pour lui. Il n’était pas au courant de la grossesse, ni de l’avortement, et c’était tout de même une part assez énorme de toute cette histoire.

Quoiqu’il en soit, Callie était tout de même rassurée qu’il ne lui en veuille pas de n’avoir donné aucune nouvelle depuis plus d’un an, et de n’avoir prévenu personne de son retour à Atlanta. Seule sa mère, ses sœurs, ainsi que sa cousine Brooklynn étaient au courant. Pour cette dernière, c’était tout à fait logique, puisque les deux jeunes femmes avaient décidé de venir à Atlanta ensemble. En tous cas, ça lui enlevait une belle épine du pied qu’Alban l’accueille avec le sourire. Dans le cas inverse, elle aurait certainement été obligée de se justifier, de donner des explications… Et elle n’avait pas envie que ce soit une obligation justement. Lorsqu’elle serait prête à lui donner des explications, à l’éclairer sur certaines zones d’ombres de toute cette histoire, elle le ferait. Heureusement, il se contentait de lui demander si elle comptait rester pour de bon. La réponse était oui, elle avait repris ses études ici, et avait même commencé à monter une association, alors oui, normalement elle était ici pour le long terme. Elle hésita à mettre fin à la conversation ici, mais voilà, elle était contente de le revoir au fond, et elle céda à l’envie de lui proposer de boire un café. « Uniquement si c'est moi qui offre ! » Elle eût un sourire amusé face à sa réponse. « Vendu ! » répondit-elle, alors qu’il se mettait en route. Elle fronça légèrement les sourcils en le voyant s’arrêter net. « Et tu aurais pas oublié quelque chose ? » Elle le regarda, assez intriguée par sa question. Non, elle n’avait pas vraiment l’impression d’avoir oublié quelque chose, mais elle allait bientôt connaître la réponse. « Un bisou nan ? » Un rire s’échappa de ses lèvres, tandis qu’elle secouait légèrement la tête. Elle se hissa légèrement sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur la joue qu’il lui tendait. « Satisfait ? » demanda-t-elle avec amusement. Ils continuèrent d’avancer sur le trottoir, et voyant un café, Callie se dit qu’ils pouvaient s’arrêter là. Après tout, ce n’était pas vraiment de boire un café qui était important. « Ca te convient ici ? » lui demanda-t-elle en lui indiquant la petit café qui se trouvait juste à côté d’eux.

C’est avec une certaine gêne que Callie avait déposé un baiser sur la joue d’Alban. C’était un geste tout à fait anodin entre deux amis, n’est-ce pas ? Sauf que le geste anodin le devenait nettement moins lorsque les deux amis en question avaient couché ensemble plus d’un an auparavant. Ils n’en avaient jamais discuté ensemble histoire de mettre les choses au clair. Disons qu’ils avaient conclu une sorte d’accord tacite, silencieux pour ne jamais parler de la nuit qu’ils avaient passé ensemble. Jusqu’à présent le contrat était respecté, et quelques closes s’étaient même ajoutées du côté de la jeune femme, compte tenu des conséquences entraînées par cette nuit. Ce qu’elle ressentait était complètement contradictoire, parce qu’elle voulait éviter Alban, ne pas lui parler, ne pas se justifier, mais d’un autre côté, elle était contente de le revoir. Si l’on exceptait leur petite aventure, ils s’étaient bien entendus. Vraiment. Ils s’étaient découvert des points communs, des différences qui avaient engendrées quelques taquineries… Ils avaient été complices. Et ça, ça ne s’oublie pas, on peut s’évertuer à l’effacer, il ne suffit pas de grand-chose pour que ça revienne.

Repérant un café, Callie demanda à Alban s’il lui convenait. « Parfait ! Allons y ! » Elle hocha simplement la tête, en souriant, avant de le suivre jusqu’au serveur, puis, jusqu’à une table à l’extérieur. « Oh excuses moi, tu préfères peut-être aller à l'intérieur ... » Elle le regarda, étonnée et amusée qu’il se relève d’un coup. « A toi de choisir où tu préfères t'assoir, après tout on a pas mal de chose à se dire .. » Oui, ils avaient des tas de choses à se dire, c’était certain. Ce qui l’était moins, c’est qu’elle ait le courage de les dire ces choses.. « Non, c’est parfait, tu peux te rassoir ! » répondit-elle en laissant échapper un léger rire. Elle s’assit face à lui, et posa son sac sur la chaise se trouvait à côté de la sienne. Elle pouvait se le montrer puisqu’il n’y avait pas grand monde. A vrai dire, le café était même assez désertique. Et puis, il ne faisait pas particulièrement froid, surtout avec les radiateurs qu’il y avait au-dessus de leurs têtes, mis en route sur chaque terrasse lorsque l’air se faisait plus frais. Machinalement, elle remit quelques mèches brunes de ses cheveux derrière ses oreilles. « Je suppose que lorsqu’on ne s’est pas vu depuis si longtemps, on est obligé de passer par les banalités », plaisanta-t-elle, un léger sourire aux lèvres, tout en sachant que ce qu’elle venait de dire avait un fond de vérité. Il fallait bien quelques banalités pour introduire le reste. Le sujet attaqué d’emblée n’existe que dans les films, lorsque des scénaristes ont planché des heures sur un dialogue pour le rendre intéressant et poignant. Dans la vie, il n’y avait pas scénariste, et davantage de spontanéité était de rigueur. « Alors, qu’est-ce que tu deviens ? » lui demanda-t-elle, son sourire s’agrandissant au passage. C’était peut-être une question banale, mais ça ne signifiait pas que la réponse ne l’intéressait pas. Au contraire, elle était persuadée qu’il avait des tas de choses à raconter. Après tout, ils ne s’étaient pas vus depuis plus d’un an. Le serveur s’approcha finalement de leur table, son petit calepin en main. « Qu’est-ce que je vous sers ? » leur demanda-t-il. « Ce sera un café pour moi », répondit Callie, avec un sourire poli. Elle tourna ensuite la tête vers Alban, attendant qu’il passe commande aussi. Elle commençait à se détendre un peu, sans doute rassurée par le fait que pour le moment, tout se passait bien, et que c’était tout l’inverse de ce qu’elle avait imaginé.

Des banalités. Callie ne se voyait pas vraiment commencé par autre chose que par des banalités. C’était clair qu’ils avaient des tas de sujets à aborder, des sujets qu’Alban ne soupçonnait même pas. Mais en parler comme ça ? D’emblée ? Et puis, elle se voyait mal commencer la conversation en disant « hey, tu te souviens quand on a couché ensemble ?! Et bien, je suis tombée enceinte et j’ai dû avorter ! »… Franchement, il y a mieux comme introduction, non ? Pourtant, elle savait bien qu’elle devrait le lui dire un jour. Après tout, c’était son droit de le savoir, mais c’était tellement du à dire, et plus le temps passait, plus les mots restaient bloqués au fond de sa gorge. Alors, pour le moment, elle se contenta de lui demander ce qu’il devenait. Prendre des nouvelles, c’était une chose classique qui permettrait de lancer la conversation, et puis le reste… Et bien, elle s’en préoccuperait le moment venu, si elle se sentait prête. « Oh et bien tu sais, je fais toujours de la paperasse ... Je travaille toujours chez The Atlanta Journal-Constitution, mais tu le sais déjà puisque j'étais déjà la bas avant que tu partes ... Ah par contre grande nouvelle, tu as devant toi un des intervenant de la chaîne CNN, et oui madame quel honneur tu as hein ?! » Elle rit en voyant l’air faussement prétentieux qu’il affichait. Mais elle était fière de lui en tous cas. Et comment ne pas l’être lorsque que quelqu’un à qui l’on tient fait un beau bout de chemin dans ses projets et dans ses rêves. « C’est une excellente nouvelle ! » remarqua-t-elle avec enthousiasme. « Je suis très contente pour toi en tous cas… Et j’espère que tu accepteras de me signer un autographe lorsque tu seras riche, célèbre et que tu présenteras les informations le soir devant des millions d’américains ! » ajouta-t-elle, avec un large sourire aux lèvres.

Le serveur s’approcha finalement de leur table pour prendre leur commande. Callie opta pour un café, tout comme Alban. « Mettez en un deuxième. » Sa commande notée, le serveur s’éloigna, et retourna à l’intérieur du café. « Et toi alors ? Je veux savoir tout tout tout, j'adore les petits détails croustillants ! » Elle haussa les épaules en souriant avec une certaine mélancolie. A vrai dire, il n’y avait pas tellement de détails croustillants. Les derniers mois avaient surtout été consacré à essayer de relever la tête, à se reconstruire, à faire le deuil d’Adam. « Et bien… Après la mort d’Adam, j’ai laissé tomber la fac de médecine, et j’ai passé un long moment effondrée sur mon canapé », expliqua-t-elle, en essayant de faire passer sa douleur sur un ton bien léger que ça ne l’avait été. Elle essayait d’en plaisanter, de présenter la situation avec une certaine ironie, mais il était clair que suite à la mort d’Adam, elle n’avait pas été belle à voir. Heureusement que sa cousine Brooklynne était également à New York, car son soutien avec été particulièrement précieux. « Ensuite, je me suis engagée avec une association, et j’ai passé plusieurs mois au Cambodge, pour aider les enfant à avoir accès à l’éducation. Quand je suis rentrée, Brooklynne m’a convaincu de revenir avec elle à Atlanta, j’ai repris la fac de médecine, et j’essaie de monter ma propre association », continua-t-elle. La fin de son explication concorda avec le retour du serveur à leur table, et déposa deux tasses de café devant eux, ainsi que deux verres d’eau. « Merci », le remercia poliment Callie.

Alban semblait gravir les échelons dans la carrière de ses rêves, le journalisme. Callie était contente pour lui, vraiment. Elle n’avait aucun doute sur l’évolution de sa vie professionnelle, il finirait par arriver au plus haut, ou tout au moins, à ce qu’il voulait. Elle ne put s’empêcher de plaisanter en lui disant que lorsqu’il serait devenu le présentateur du journal télévisé le plus regardé d’Amérique, elle viendrait lui réclamer un autographe, autographe qu’il avait intérêt à accepter de signer ! » Je ne sais pas ... je vais peut-être me la jouer à la justin bieber une fois connu, je ne quitterai plus mes lunettes noires et je signerai des autographes qu'à ceux qui me regardent à la télé ... » Elle rit à sa référence. Elle réalisait à quel point il lui avait manqué. Leur complicité, elle avait décidé de la ranger dans une boîte et de l’oublier après ce qui s’était passé entre eux, mais apparemment il ne fallait pas grand-chose pour qu’elle revienne. Alban était un coup de cœur amical pour elle, c’était indéniable. Ce n’était pas le premier qu’elle avait appris à connaître dans le groupe d’amis d’Adam, c’était venu avec le temps, surtout au cours de l’été de l’an passé, où ils avaient passé beaucoup de temps ensemble. Alors forcément, si l’on mettait de côté la gêne, la tournure qu’avait pris leur relation à un moment donné, elle était contente de le retrouver. « Tant que tu ne lui pique pas sa coupe de cheveux ! » plaisanta-t-elle à son tour. Non, mais vous l’imaginez, vous, Alban avec une mèche devant les yeux ? Croyez-moi, ce jour là, Callie serait aux premières loges pour se foutre de lui ! Bientôt ce fût à elle de raconter ce qu’elle avait fait au cours de l’année écoulée. Elle avait commencé par essayer de se remettre comme elle pouvait de la mort d’Adam. C’était terrible de se laisser submerger par la douleur, d’avoir l’impression que l’on sera toujours dans cet état là… Et puis elle avait fini par en sortir, par se reprendre en mains. A partir de là, à défaut d’effacer la douleur, elle s’était tout de même atténuée. Elle s’était engagée auprès d’une association humanitaire. Ce n’était pas un hasard, d’une certaine façon, elle avait eu l’impression de retrouver Adam en suivant ses traces. La différence, c’est qu’elle n’était pas partie dans un pays en guerre, le but n’étant pas de se mettre en danger. Elle était allée au Cambodge, pour aider les enfants à avoir accès à l’éducation. Aider les autres avait été une véritable thérapie, puisqu’en se concentrant sur ceux qui étaient dans le besoin, elle avait oublié son chagrin. Convaincue par sa cousine, Brooklynn, elle était rentrée à Atlanta, où elle avait repris ses études de médecine. Elle en avait déjà fait cinq années, ce serait idiot de tout laisser tomber définitivement !

Le serveur apporta finalement leurs cafés, et elle le remercia lorsqu’il déposa sa tasse devant elle. « Merci. » Une fois que le serveur eût tourné les talons, la conversation entamée précédemment, pu reprendre. « La prochaine fois que tu pars au Cambodge prévois une place pour moi dans ta valise ! » Elle esquissa un sourire qui creusa ses fossettes. « C’est noté, mais ce n’est pas dit que mes vêtements acceptent de partager la place ! » le taquina-t-elle, un sourire en coin. « Oh tu as repris l'université ? Quel courage ! Prête à te replonger dans les bouquins d'Histologie ? Tu as repris depuis quand ? » Ce n’était pas vraiment du courage, puisqu’il fallait bien qu’elle fasse quelque chose de sa vie. « Ne m’en parle pas… C’est dur de se replonger dans tout ça après un an à faire autre chose ! » répondit-elle avant de marquer un pause pour boire une gorgée de café. « J’ai repris il y a quelques semaines, pour la rentrée », répondit-elle. « Ouh c'est chaud.. » Elle ne put retenir un sourire amusé. C’était tellement typique de se brûler en avalant son café. Qui oserait prétendre que ça ne lui était jamais arrivé ? Un silence de quelques instants s’installa, pendant lequel Callie jouait machinalement avec son sachet de sucre. « Je suis désolée… De ne pas avoir donné de nouvelles depuis plus d’un an », lâcha-t-elle finalement, en posant à nouveau son regard sur celui d’Alban.